Dystonie cervicale : se rééduquer et apprendre à bien vivre avec la maladie
22 novembre 2018
Ayant exercé pendant plusieurs années le double métier d’enseignant et de guide-conférencier à Paris, tout en poursuivant mes recherches en thèse d’histoire de l’art, j’ai été diagnostiqué il y a un an, à l’âge de 36 ans, d’une dystonie cervicale.
L’annonce du diagnostic, tombé -fort heureusement – un mois seulement après l’apparition de mes premiers symptômes, fut pour moi un véritable traumatisme. En effet, les deux médecins généralistes que j’avais consultés, avant d’être diagnostiqué par un neurologue, tentèrent initialement de me rassurer en me disant que cela finirait par passer. L’un d’eux formula toutefois par écrit le mot « torticolis » et m’orienta par chance vers un neurologue qui se trouve être spécialisé dans les mouvements anormaux, et qui a très rapidement établi le diagnostic.
Si traumatisant qu’il fût, le diagnostic me permit au moins de mettre des mots sur ce qu’il était en train de m’arriver, et m’amena en outre à m’informer sur les traitements existants, à prendre connaissance de témoignages de malades et à découvrir l’existence d’Amadys, dont je suis très rapidement devenu membre. Je dois dire ici combien il a été important pour moi de pouvoir entrer en contact avec l’association, dont plusieurs membres m’ont appelé et même reçu personnellement pour m’écouter, me soutenir et me donner de l’espoir face à ce bouleversement total dans ma vie. (Bouleversement qui touchait jusqu’à la plupart des actes de la vie quotidienne, comme manger, boire, me tenir debout, marcher, écrire, travailler devant un ordinateur, parler à quelqu’un, entrer dans un commerce, ouvrir la porte du métro, etc.)
Je me suis rapidement interrogé sur les « causes » de la maladie, sur ce qui, dans mon cas, avait pu conduire à la survenue de la dystonie. J’ai toujours eu un tempérament anxieux, particulièrement lors de mes études, que j’ai menées jusqu’à un âge assez tardif, parfois en parallèle de mon travail. L’impression d’avoir accumulé, au fil du temps, une charge de travail devenue de plus en plus accablante, d’en venir à crouler littéralement sous le poids des contraintes professionnelles ou académiques, a peut-être en partie joué dans l’apparition de la maladie. Je compris néanmoins qu’il était vain de chercher à établir une cause précise, et qu’il valait mieux consacrer mon temps et mon énergie à suivre un traitement adéquat.
À cet égard, j’estime devoir beaucoup à l’équipe médicale exceptionnelle qui m’a pris en charge dès le début, sans laquelle je n’aurais jamais pu faire autant de progrès depuis un an. Tant le neurologue que je consulte périodiquement à l’hôpital et qui pratique les injections, le Dr David Grabli, que Jean-Pierre Bleton, ou encore Alicia Garcia, kinésithérapeute qui me suit depuis maintenant un an, ont su trouver les mots justes pour m’expliquer ce qu’était la maladie, et ce que je devais faire dans la gestion des symptômes et la rééducation de l’usage normal des muscles cervicaux; par le temps qu’ils m’ont consacré et les conseils qu’ils m’ont donnés, j’ai été en mesure d’agir en vue de me réinsérer dans la vie professionnelle, et plus généralement dans la vie de tous les jours.
Les injections de toxine m’ont notamment aidé, mais je pense rétrospectivement qu’il ne faut pas tout attendre d’elles, surtout en début de traitement, d’autant qu’il faut souvent attendre plusieurs séries d’injections pour pouvoir enfin cibler avec précision les muscles hypertoniques. Je me rappelle en effet comment, dans les jours qui suivirent les toutes premières injections, je me réveillais chaque matin en me regardant dans le miroir pour voir si les effets de la toxine commençaient bien à se faire sentir. Je constatais au bout d’une semaine une petite amélioration, mais le torticolis était toujours bien présent, ce qui suscita alors déception et découragement de ma part dans les premiers temps. Je peux dire aujourd’hui que c’est vraiment avec la quatrième série d’injection – soit la série reçue environ un an après l’apparition de mes premiers symptômes – que les bienfaits de la toxine ont été les plus manifestes, résultat probable des tâtonnements nécessaires au ciblage précis des muscles hyperactifs, et de la complémentarité à terme de la toxine et de la rééducation.
Ce fut déjà à l’issue de la deuxième série d’injections qui intervint quelques mois plus tard, combinée à une pratique quotidienne d’exercices d’auto-rééducation répétés, selon les conseils de Jean-Pierre Bleton, que les progrès les plus importants commencèrent à apparaître.
Entre mi-décembre 2017 et mi-mars 2018, date de la deuxième consultation avec Jean-Pierre Bleton, je fis non seulement quantité d’exercices à la maison visant à réapprendre l’activation correcte du sterno-cléido-mastoïdien hypotonique – dans mon cas le SCM❋ droit, le gauche étant hypertonique -, mais je tentai aussi de transposer les mouvements de correction à la vie quotidienne – autre principe fondamental de la méthode Bleton : ainsi en déplaçant l’écran d’ordinateur vers la gauche, en me décalant sur la droite pour regarder la télévision ou lorsque j’allais au cinéma, en m’installant à table plutôt vers la droite lors d’une réunion ou d’un déjeuner avec des collègues, etc. Le but étant, selon les principes de cette même méthode, d’être régulièrement incité durant la journée à tourner la tête en correction, du côté opposé au torticolis spasmodique. À cela s’ajoutèrent deux autres exercices allant dans le même sens : l’un, donné par le neurologue, consistait à prendre un repère visuel à gauche et à le fixer du regard tout en marchant, afin d’activer le SCM droit, insuffisamment actif dans mon cas ; l’autre, donné par la kinésithérapeute, consistait pour une autre personne à se placer à ma gauche et à lancer de façon répétée une balle, afin de réapprendre à tourner naturellement la tête en correction.
Jean-Pierre Bleton me donna également un autre conseil qui se révéla déterminant : d’après son guide sur la rééducation de la dystonie cervicale, il faut consacrer au moins 30 minutes par jour aux exercices de rééducation. Lorsque je lui fis part de mon souhait de faire quotidiennement 1h de rééducation, il me dit qu’il préférait me voir faire 60 fois une minute d’exercices par jour, plutôt qu’une heure d’affilée. Selon Jean-Pierre Bleton – et les résultats de mon travail de rééducation peuvent en témoigner – c’est la répétition du geste correcteur tout au long de la journée qui paye à terme, plus encore que la seule quantité de travail fournie par le patient.
Car c’est bien le patient – autre principe fondamental du traitement de la dystonie cervicale par rééducation prôné par Jean-Pierre Bleton – qui doit être le principal acteur de sa rééducation. Si les injections de toxine bien ciblées apportent bel et bien du confort au patient, on ne saurait en revanche tout attendre d’elles, car elles ne sont qu’une composante du traitement, et n’ont aucunement vocation à se substituer à l’action volontaire du patient lui-même. De ce point de vue, l’analogie suivante que fit Jean-Pierre Bleton lors de la première consultation fut elle aussi très importante pour moi : le patient doit comprendre, me dit-il, que le kinésithérapeute est au patient ce que le professeur de piano est à l’élève. Si aller régulièrement chez son kinésithérapeute est certes nécessaire, il est essentiel de prolonger ces séances par un travail d’auto-rééducation soutenu et répété chez soi. Un principe qui se vérifie également en milieu scolaire : l’élève ou l’étudiant ne saurait tout attendre de l’enseignant, celui-ci ne pouvant se substituer à celui-là dans la nécessaire pratique d’un travail régulier, sans lequel aucun progrès n’est véritablement possible.
Lors de la deuxième consultation avec Jean-Pierre Bleton, celui-ci put constater les progrès réalisés : j’étais désormais capable de garder la tête dans une position plus proche de l’axe médian, avec des spasmes moins fréquents et moins prononcés. Qui plus est, je n’étais plus obligé de porter l’écharpe que j’avais mise autour du cou de manière aussi serrée – écharpe que, sur les conseils du Dr Grabli, je finis par ôter plusieurs mois après afin de retrouver l’autonomie du port de la tête -, et j’avais moins souvent recours au « geste antagoniste ». Au vu des résultats, Jean-Pierre Bleton m’incita donc à modifier les exercices afin de retrouver désormais le sens de la symétrie et de l’harmonie du mouvement rotatoire gauche-droite et inversement.
Grâce aux exercices d’auto-correction répétés trois mois durant, j’étais parvenu à regagner durablement le côté gauche, et il fallait donc maintenant réapprendre à exécuter le plus naturellement possible le mouvement rotatoire complet dans les deux sens. Il semble donc y avoir deux phases dans la rééducation de la dystonie cervicale : une première phase visant, pour le patient, à réapprendre l’activation normale des muscles correcteurs dormants (notamment, dans de nombreux cas, l’activation du SCM hypotonique); puis une deuxième phase ayant pour but de retrouver la symétrie, la fluidité, l’harmonie et la maîtrise des mouvements. Le patient, me dit encore Jean-Pierre Bleton, doit avoir en tête l’image du danseur, et non chercher à lutter ni à réaliser une performance.
Aujourd’hui, après une quatrième série d’injections qui permit de parfaitement cibler les muscles spasmodiques, et grâce aux bienfaits cumulatifs de la rééducation depuis presque un an, j’ai retrouvé une sérénité dans ma vie de tous les jours à laquelle je n’avais osé songer l’année dernière, peu après que les premiers symptômes firent leur apparition. Non seulement je parviens à aller chez un commerçant, dans un restaurant ou dans un lieu public, à discuter avec des gens ou à voir des amis comme avant, mais j’ai beaucoup moins peur, grâce au traitement suivi, de faire face au regard des autres, notamment lorsque je fais un cours dans une salle de classe. Plutôt que de rester assis à mon bureau, en position statique et face au public, je n’hésite plus à me lever, à lui faire face, à écrire au tableau, à me déplacer dans la salle de cours, appliquant en cela toujours les conseils donnés par Jean-Pierre Bleton : rester le moins possible immobile, et ne pas hésiter à bouger.
En bref, s’il est vrai qu’il existe différentes options thérapeutiques dans le traitement de la dystonie cervicale, et que le patient doit, en collaboration avec le neurologue et le kinésithérapeute, trouver le traitement qui lui convient le mieux, il existe toutefois à ce jour un traitement de choix consistant en injections de toxine botulique visant à favoriser le relâchement des muscles hypertoniques, et en séances de rééducation par kinésithérapie motrice, dont le but est de permettre au patient de retrouver l’activité normale des muscles cervicaux. En suivant ce traitement dans la durée, le patient augmente ses chances d’être, à plus ou moins long terme, non pas guéri à proprement parler – car on ne peut véritablement guérir de la dystonie – mais d’être en rémission, état vers lequel je tente aujourd’hui de m’acheminer. Grâce au traitement suivi, le patient peut donc réapprendre à vivre au jour le jour – et même à bien vivre –, ce en parvenant à minimiser, à contrôler, voire à oublier le plus possible ses propres symptômes. Vivre avec la dystonie implique donc d’apprendre à gérer la maladie, à bien s’en accommoder, afin qu’elle soit la moins présente, la moins gênante possible. Ce qui nous ramène encore au patient et à son action : celui-ci ne doit en effet jamais oublier que c’est avant tout de lui que dépend le sort de sa tentative pour bien vivre avec la maladie.
❋ SCM : sterno-cléido-mastoïdien